accueil  
actualité  
revue de presse  
livres  
liens  
webmaster  
Né Sous X
   
 
 
Une femme née sous X... poursuit la France devant la Cour européenne
   
Par : PASCALE KREMER
11 Octobre 2002
Une femme née sous X... poursuit la France devant la Cour européenne


La Cour européenne des droits de l'homme a examiné, mercredi 9 octobre, la plainte de Pascale Odièvre, 37 ans, qui se heurte depuis des années au refus de l'administration française de lui communiquer l'identité de ses parents et de ses frères

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11 Octobre 2002

La cour européenne des droits de l'homme a examiné, mercredi 9 octobre, la plainte de Pascale Odièvre contre la France. L'Etat refuse en effet de communiquer à la jeune femme, âgée de 37 ans, l'identité de sa mère, qui avait requis l 'anonymat lors de sa naissance, ainsi que celle de ses frères. La Cour, qui rendra sa décision dans les semaines à venir, doit dire si la France viole la Convention européenne des droits de l'homme. Pour l'avocat de la plaignante, la loi sur l'accouchement sous X..., réformée en janvier dans le sens d'un accès plus facile aux origines, maintient « le système d'une naissance juridique sans mère ». Minée par vingt ans de recherches infructueuses, Pascale Odièvre, célibataire, sans enfants et sans emploi, ne rêve plus que d'une chose : « rencontrer quelqu'un avec qui [elle] a des liens de sang ».


LEUR ENTRÉE successive, d'un pas lent, vêtus d'une même robe noire, marque à elle seule toute la solennité de l'instant. Vingt magistrats de diverses nationalités européennes étaient réunis, mercredi 9 octobre à Strasbourg, pour juger l'Etat français. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a estimé qu'il n'en fallait pas moins pour décider si la loi française sur l'accouchement sous X... viole la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit notamment le respect de la vie privée et familiale.

Présente à l'audience mais muette, comme l'exige la procédure, c'est une jeune femme discrète de 37 ans, Pascale Odièvre, qui poursuit son propre pays : l'Etat français refuse en effet de lui communiquer l'identité de sa mère - qui a requis l'anonymat lors de sa naissance en 1965 -, ainsi que celle de ses frères. En 1998, Pascale Odièvre a saisi la CEDH qui, en sa troisième chambre, a déclaré la plainte recevable le 16 octobre 2001 ( Le Monde du 18 octobre 2001).

Une « ingérence de l'état »

Mais en juin 2002, cette chambre se dessaisissait au profit de la Grande Chambre pour le jugement de l'affaire sur le fond. Une procédure relativement exceptionnelle. Un arrêt rendu par la Grande Chambre est définitif et amené à faire jurisprudence.

Formant un imposant arc de cercle, les dix-sept magistrats et leurs trois suppléants ont d'abord entendu Me Didier Mendelsohn, l'avocat de la plaignante, déplorer que la loi française sur l'accouchement anonyme « empêche l'enfant d'avoir accès à la réalité de son histoire », constituant donc une « ingérence de l'Etat qui le prive légalement de son identité ». Or « la connaissance de ses origines est un élément essentiel de la vie privée ».

Pour Me Mendelsohn, la protection de la mère qui accouche ne nécessite nullement de refuser à son enfant l'accès à ses origines. Dans la majorité des cas, le choix d'accoucher anonymement n'est, selon lui, « ni libre ni éclairé ». Et l'évolution commune des pays européens tend actuellement à favoriser la connaissance des origines. La loi du 22 janvier 2002 sur l'accès aux origines des personnes adoptées ne le convainc nullement : « Le système, organisé par le code civil, d'une naissance juridiquement sans mère est maintenu. La fiction reste entière. Qu'ils soient nés avant ou après cette loi, les enfants nés sous X... resteront exclus du droit à trouver leurs origines car le législateur ne leur ouvre aujourd'hui qu'un droit : celui de les chercher. »

Un « changement subit »

Créé par la nouvelle loi, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) n'instaure à ses yeux aucun équilibre entre les intérêts divergents de l'enfant et de la mère : si cette dernière refuse de dévoiler son identité, « ce texte ne permet pas au Cnaop d'analyser les raisons du refus de la mère et de passer outre si ces raisons ne sont pas légitimes ». Par ailleurs, le « changement subit » de président du Cnaop, en août, fait douter l'avocat de Pascale Odièvre de l'indépendance de cet organe. « Appréciation purement politique ! », a rétorqué François Alabrune, du ministère des affaires étrangères, qui défendait l'Etat français. La loi du 22 janvier, « adoptée à l'unanimité par le Parlement français », est « une innovation très importante pour diminuer le nombre de cas où le secret sera opposé à l'enfant ». Cette loi favorise la réversibilité du secret, prévoyant que des moyens importants soient accordés au Cnaop pour retrouver les mères de naissance, et solliciter leur accord.

Plus généralement, M. Alabrune a rappelé que l'accouchement sous X... ne protège pas seulement la mère mais aussi l'enfant. Et qu'on ne peut évoquer l'existence d'une communauté de vue en Europe, où le débat reste entier. « Une large marge d'appréciation doit donc être laissée aux Etats. »

François Alabrune a tenté de reposer la question de la recevabilité de la requête de Pascale Odièvre, cette dernière n'ayant pas épuisé toutes les voies de recours internes. « Il n'est pas normal, a-t-il insisté, que la CEDH soit appelée à se prononcer sur une matière aussi délicate alors même que toutes les juridictions françaises, et notamment le Conseil d'Etat, ne se sont pas prononcées. » Sur cette matière hautement délicate, la Cour européenne rendra un avis dans les semaines qui viennent.

PASCALE KREMER

Le Monde
 
   
     
   
   

mise à jour le 15 décembre 02